mercredi 10 août 2011

Jura : les enfoirés présentent "Les prisons du coeur"


La presse locale s'est fait l'écho en ce début de mois d'août de la venue de Pierre Botton accompagné par la conseillère générale UMP, Hélène Pélissard. Le but de leur visite : faire valider par le conseil municipal de Saint-Julien l'installation de la toute première « prison du cœur » de France sur le territoire de ce village de la Petite Montagne du Jura de 400 habitants. [1]


Les enfoirés présentent : les prisons du cœur


De quoi s'agit-il exactement ? D'un centre carcéral prévu pour accueillir 120 « primo-délinquants » âgés de moins de 35 ans, condamnés à des peines de prison de moins de cinq ans et acceptant, entre autres, de travailler pour un salaire équivalent au SMIC leur permettant notamment de participer à leurs propres frais d'emprisonnement et à l'indemnisation de leurs victimes. Le but affiché de l'opération étant la lutte contre la récidive. [2]


Le rapport avec Pierre Botton ? C'est qu'il s'est vu confié une mission sur l'amélioration des conditions de détention par MAM et Sarkozy début 2010 [3], en tant que président de l'association "les prisons du cœur" [4]. Il n'est pas certain que ce choix ait été très judicieux pour ce qui est d'illustrer l'efficacité de l'emprisonnement contre la récidive [5], puisque quelques jours seulement après s'être vu confié cette mission, Botton faisait déjà l'objet d'une plainte pour escroquerie [6]. Le genre d'incident qui vous fout par terre un plan comm' ! Encore heureux que cette plainte ait été très vite retirée... [7]



Grattons un peu le vernis


Ce discours officiel destiné à nous vendre le concept mérite d'être entendu. Mais surtout d'être examiné d'un peu plus près...


Un ancien détenu traumatisé par le "choc carcéral" qui crée une association pour améliorer le sort de ses semblables, et qui sait trouver l'oreille compatissante de la Garde des Sceaux : une bien jolie histoire cousue de fil blanc. Et les déclarations de Botton selon lesquelles "le projet est piloté par l'Élysée" [8], ou encore l'ouverture du centre de Saint-Julien espérée pour mars 2012 [1], soit en pleine période d'élection présidentielle, ne font que confirmer l'intuition d'un simple coup politique de Sarkozy.


Mais outre ses soutiens au gouvernement et à l'Élysée, l'association compte également une quinzaine de "partenaires" privés, parmi lesquels - excusez du peu - Carrefour, Bolloré, Lagardère, la FNAC, ou encore Schneider Electric. [9] Difficile de croire que pour ces mastodontes du capitalisme, "ce n'est pas l'aspect économique qui est prépondérant dans ce dossier mais bien l'aspect humain", comme l'affirme benoîtement Pélissard. [10]



Privatisation des prisons 


Ce projet de centre carcéral de Saint-Julien est avant-tout un nouvel exemple de prison privatisée, puisqu'il s'agit d'un montage financier estimé à une quinzaine de millions d'euros, selon Le Progrès [1], et qu'un promoteur immobilier privé se chargera de la construction avant de louer les locaux à l'État, comme cela devient la mode depuis quelques années.


Ainsi, comme l'avait annoncé l'alors ministre de la justice le 19 février 2008, c'est le groupe de Martin Bouygues (celui-là même qui était impliqué dans l'affaire Botton [5][11], et qui se trouve être témoin de mariage de Sarkozy, ainsi que le parrain de l'un de ses fils [12] : comme le monde politico-financier est petit !) qui s'est vu attribuer le contrat pour la conception, la construction, le financement et l'exploitation (maintenance, restauration, blanchisserie, entretien, nettoyage, formation professionnelle des détenus, travail pénitentiaire, transfert des détenus...) des trois nouvelles prisons de Nantes, Réau et Annœuillin. Une aubaine pour le groupe, qui percevra de l'État français (donc, de ses contribuables) 48 millions d'euros par an pendant 27 ans, soit un total de 1,3 milliard d'euros. [13][14]



La prison, enfin une alternative écologique aux délocalisations


Outre l'intérêt évident pour les groupes directement impliqués dans l'exploitation de ce genre de prisons privatisées, ce type d'établissements constituent des zones franches très avantageuses. En effet, "le travailleur- détenu évolue dans une zone de non droit dont la pierre angulaire se niche dans l'article 717-3 du code de procédure pénale. Lequel souligne expressément que  "les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail" dans l'enceinte d'une prison. De fait, tous les droits attachés au contrat de travail disparaissent : pas de SMIC pas d'indemnités chômage, de maladie ou d'accident du travail, pas de congés payés, ni de droit syndical. Un système totalement dérogatoire au droit commun qui permet aux entreprises de s'implanter en prison à moindre frais." [15]


Les industriels ont compris depuis longtemps déjà l'intérêt économique qu'elles avaient à délocaliser leur production dans des pays où les réglementations sociales et environnementales sont bien plus faibles qu'en France. Néanmoins, les délocalisations présentent des inconvénients inhérents au fait que le travail soit réalisé à l'étranger, comme les frais de transport qui augmentent avec les distances, ou encore les problèmes linguistiques.


Pour certaines activités, la délocalisation est même tout à fait impossible, comme c'est le cas pour les supermarchés, par exemple, où les travailleurs (manutentionnaires, caissiers, etc.) doivent nécessairement se trouver dans le magasin où les clients viennent faire leurs achats. Des solutions ont été conçues au sein des grandes institutions libérales comme l'OMC (Organisation mondiale du commerce) avec l'AGCS (Accord général sur le commerce des services) [16][17], ou l'Union européenne avec sa fameuse directive Bolkestein [18][19], mais la libéralisation du système carcéral offre des perspectives très profitables de ce point de vue (ce n'est pas un hasard si un groupe comme Carrefour soutient "les prisons du cœur" [9]).


Le projet de Saint-Julien comprend d'ailleurs justement "l'existence d'un centre commercial ouvert au public où les clients seront servis par des détenus" [2]. Gérard Guyot, le maire de la commune a beau demander "l'assurance que les commerces prévus ne causeront pas de tort à ceux du village" [1], il est évident que l'exploitation de travailleurs captifs ne bénéficiant pas des mêmes droits que les autres, constituera un gros avantage sur la concurrence, qu'elle soit locale ou nationale.



La liberté n'est pas une marchandise


Nous avons vu que, en plus des profits dégagés directement par les "partenariats public-privé" entre l'État et des groupes comme Bouygues, par exemple, la prison constitue une importante source de profits potentiels, puisqu'elle peut permettre à des entreprises de s'affranchir du droit du travail.


Au-delà de toute considération morale, il a vraiment de quoi être très inquiet lorsque la privation de liberté d'une part de la population devient profitable pour des intérêts privés. [20][21]


Si la fortune de riches entrepreneurs - dont la collusion avec le sommet de l'État n'est plus à prouver (Cf. Bouygues et Sarkozy) - croît proportionnellement au nombre de personnes emprisonnées, comment imaginer que le pouvoir politique cherche à faire baisser ce nombre ?


Parmi les facteurs de délinquance, il y a notamment la destruction de l'éducation et de l'emploi. Pour la première, on ne peut pas dire que le gouvernement ne se donne pas de mal, avec les quelques 65000 postes d'enseignants supprimés en cinq ans [22]. Pour ce qui est de l'emploi, on peut aisément imaginer qu'un "cercle vertueux" (pour les capitalistes) puisse s'enclencher : les prisonniers exploités feront concurrence aux travailleurs "libres", qui perdront leur travail, c'est-à-dire leur moyen de subsistance, ce qui les poussera à commettre des délits pour survivre, ce qui les conduira en prison où ils pourront continuer d'alimenter le cycle infernal...


Mais ça risque de ne pas suffire. Alors il suffit de durcir les lois, de créer une insécurité juridique qui permette de condamner à peu près n'importe qui. Là aussi, on peut dire que Sarkozy et ses sbires ne lésinent pas, en créant sans cesse des lois plus restrictives pour les libertés, plus répressives et plus totalitaires (explosion de la vidéo-surveillance, fichage généralisé de la population avec la carte d'identité électronique, peines plancher, scanners corporels et passeports biométriques dans les aéroports, répression routière, contrôle d'Internet, couvre-feu pour les mineurs, protection des agents de renseignement, explosion du fichage génétique, tentative de criminalisation de l'habitat nomade, alourdissement des peines, etc.). [23][24]


Cette insécurité juridique qui pèse chaque jour un peu plus sur chacun d'entre nous est d'ailleurs clairement affichée sur le site des "prisons du cœur" : "Car ne vous y trompez pas, la prison, cela n'arrive pas qu'aux autres... Qui n'a pas trop bu un soir et pris son volant ? Qui ne connaît pas un enfant touché par la drogue ? Qui n'a pas côtoyé quelqu'un pris dans la détresse d'une dépression qui l'amène à commettre un acte délictueux ? Une première incarcération peut aujourd'hui arriver à n'importe qui !". [25] Nous voilà prévenus !


Il appartient à chacune et à chacun de combattre cette société capitaliste dégénérée qui se montre toujours plus libérale pour les riches et les puissants, et toujours plus liberticide pour tous les autres ! 



P-S : Nous ignorons qui est l'auteur de l'image (trouvée sur Internet [26]) qui illustre si bien cet article, mais nous espérons qu'elle ou il ne nous en voudra pas de l'avoir reprise.




[1] http://www.leprogres.fr/jura/2011/08/04/la-petite-montagne-candidate-pour-accueillir-la-premiere-prison-du-coeur-de-france

[2] http://www.lalibertecaseprepare.com

[3] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/01/18/01016-20100118ARTFIG00435-mam-confie-a-pierre-botton-une-mission-sur-la-prison-.php

[4] http://www.lesprisonsducoeur.net/index.php?option=com_content&view=article&id=92&Itemid=54

[5] http://denistouret.fr/constit/Noir.html

[6] http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/02/02/01016-20100202ARTFIG00358-nouveaux-demeles-judiciaires-pour-pierre-botton-.php

[7] http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/02/18/01011-20100218FILWWW00795-une-plainte-visant-pierre-botton-retiree.php

[8] Le Progrès du 10/06/2011 - http://www.lalibertecaseprepare.com/images/stories/revuedepresse/2011-06-10_LeProgres.pdf

[9] http://lalibertecaseprepare.com/index.php?option=com_content&view=article&id=52&Itemid=59

[10] http://www.leprogres.fr/jura/2011/08/04/sur-le-papier-ca-va-toujours-bien

[11] http://www.liberation.fr/france/0101173104-botton-depasse-par-ses-comptes-suissesl-implication-de-bouygues-et-de-dumez-fait-craindre-l-enlisement-du-dossier

[12] http://www.lexpress.fr/actualites/2/legion-d-honneur-pour-martin-bouygues_906315.html

[13] http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-18-52-Bouygues-va-construire-et-gerer-trois-prisons-a-Nantes-Lille-et-Reau_3631-565155_actu.Htm

[14] http://www.liberation.fr/societe/01012349099-une-prison-privee-d-humanite

[15] http://owni.fr/2010/11/23/interview-le-juteux-business-des-prisons/

[16] http://fr.wikipedia.org/wiki/AGCS

[17] http://www.france.attac.org/archives/spip.php?rubrique25

[18] http://fr.wikipedia.org/wiki/Directive_Services

[19] http://www.france.attac.org/articles/projet-de-directive-bolkestein-une-machine-de-guerre-contre-les-peuples-deurope

[20] http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article693

[21] http://www.lefigaro.fr/international/2009/02/17/01003-20090217ARTFIG00353-usa-des-juges-ripoux-au-service-de-prisons-privees-.php

[22] http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20110529trib000625055/enseignants-chatel-change-sa-politique-de-communication-sur-les-effectifs-.html

[23] http://www.pcinpact.com/actu/news/64541-carte-didentite-securisee-puce-biometrie.htm

[24] http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_d%27orientation_et_de_programmation_pour_la_performance_de_la_s%C3%A9curit%C3%A9_int%C3%A9rieure

[25] http://www.lesprisonsducoeur.net/index.php?option=com_content&view=article&id=45&Itemid=58

[26] http://dondevamos.canalblog.com/archives/2010/02/08/16846304.html

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci. Faut-il être du NPA pour faire ce genre de constat? Rien de révolutionnaire, rien de subversif, juste un constat argumenté d'une nouvelle atteinte aux libertés. Un travail qui fait des militants de dangereux agitateurs. Faut-il comprendre qu'aujourd'hui, la défense des droits fondamentaux est passée à l'extrême gauche? Où sont les extrêmes?

Anonyme a dit…

je me demande quand le peuple va prendre conscience que notre societe capitaliste nous mene droit dans le mur malheureusement il iront voter Fn en masse bloquons tout une bonne fois pour toute et VOTEZ POUTOU

npa a dit…

Bonjour,

Eh non ! Rien de révolutionnaire, ni de subversif dans cet article !

Juste des arguments qu'on aurait aimé entendre dans d'autres bouches sur le terrain, lors du rassemblement de vendredi dernier à Saint-Julien, par exemple. Alors cet article peut sembler banal, mais ilpermet au moins que ces simples éléments de réflexion soient diffusés.

Vu la presque totale indifférence avec laquelle est accueillie chaque nouvelle mesure liberticide actuellement, il est à craindre que la révolution ne soit pas pour demain. Quand la population ne voit même pas de raisons de se révolter quand on lui ôte ses droits un par un, difficile d'imaginer qu'elle puisse faire la révolution pour changer le système.

Quant à la question des extrêmes, c'est là aussi une banalité de dire qu'il s'agit d'une notion toute relative. Quand tout l'échiquier politique glisse à droite, l'extrême-droite devient la droite, et la gauche devient l'extrême-gauche. Mais le fait d'être étiqueté comme « extrême » ne présente pas d'intérêt en soi.

Merci pour votre commentaire.

Nicolas a dit…

Pour l'image, il s'agirait de Gilbert Shelton, La guerre des cafards : les cafards communistes du salon entrent en guerre avec les cafards capitalistes de la cuisine.